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Rapport de la mission de janvier dans le Haut-Maroni de Solidarité Guyane
Objet de la mission : - Restituer auprès des populations le résultat des analyses mercure de fin septembre , - Dresser un bilan de la situation sur le Tampoc suite aux événements d'octobre dernier (menaces des orpailleurs et intensification de leur activité), - Etre à l'écoute des villageois (vie sociale, problèmes d'alimentation, santé, ), - Accompagner un auteur de livres pour enfants réalisant un ouvrage sur une famille de Kayodé (avec partenariat du Conseil Régional Guyane).
1. Mercure : Comme chaque année depuis, ASG avait effectué une série de prélèvements dans les villages de Kayodé, Taluwen et Antecume. Ces prélèvements ont été traités par le NIMD (National Institute for Minamata Disease - Japon). Nous sélectionnons 2 groupes : les familles à risques (consommant régulièrement et majoritairement des poissons carnivores), les familles ayant eu une information personnalisée de prévention l'année précédente, auxquelles s'ajoutent les personnes souhaitant absolument connaître leur niveau de mercure (et réparties dans l'un ou l'autre groupe). Nous rencontrons l'adhésion des villageois car, contrairement aux scientifiques précédemment passés, nous restituons le résultat des analyses de façon individuelle et commenté. Quelques chiffres :
Commentaires : Un certain nombre de familles a bien assimilé les conseils de prévention et leur niveau de mercure a nettement baissé. Par contre certaines familles n'ont pas encore bien intégré les risques du mercure ou n'ont pas les moyens d'être sélectifs dans leur alimentation. Cela met aussi en évidence que le niveau de pollution du à l'orpaillage illégal est toujours aussi élevé dans le secteur Tampoc - Waki et que la pollution s'accentue sur la zone du Litani, résultat de l'intensification de l'activité aurifère en amont d'Antecume (rivière Oulémali). Les chiffres d'Antecume, en nombre insuffisant, ne sont pas exploitables statistiquement, toutefois les taux relevés de mercure (Hg) sont pour les enfants (moins de 3 ans) : 9.6 µg/g, 15.9 µg/g, 7.3 µg/g et pour les adultes (femmes enceintes) : 10.9 µg/g, 14 µg/g, 8.5 µg/g, donc des taux anormalement élevés et présentant des risques pour ces personnes. En effet, il est communément admis par la communauté scientifique que dès un niveau de mercure de 6µg/g de cheveu pour une femme enceinte, le ftus court le risque d'altérations de son développement physique et mental. A partir d'un taux de 11µg chez la mère il est prouvé que 10% des enfants présenteront des altérations irréversibles de leur système nerveux et un potentiel individuel diminué (fonctions motrices et cognitives). L'enfant intoxiqué dans les mêmes proportions court les mêmes risques jusqu'à l'âge de 7 ans (ainsi que la modification du rythme cardiaque et de la tension). De nouveaux prélèvements ont été effectués à Kayodé sur un certain nombre de personnes pour contrôler le différentiel de taux de mercure entre saison sèche et saison humide, car le poisson s'est énormément raréfié en raison de la pollution des eaux dans lesquelles les MES - matières en suspension - empêchent la reproduction des poissons ainsi que la photosynthèse indispensable à l'alimentation des poissons herbivores (non intoxiqués par le mercure); et les orpailleurs ont pollués le Haut-Tampoc (en amont de la Waki) qui était le dernier réservoir piscicole non " mercuré " des villageois. Cependant si les amérindiens réduisent leur consommation de poisson ils doivent trouver d'autres sources de protéines, sélénium, vitamines E et omega3, sinon ils s'exposent à des maladies cardiovasculaires (accentuées par le méthylmercure) ou d'autres maladies issues de déséquilibres alimentaires (tel que diabète, cancer, ), sans parler des carences impactant le développement des enfants. Pour rappel, le seuil de risque fixé par l'EFSA (European Food Safety Authority) est de 4.4 µg/g de cheveu et aux USA ce seuil est fixé à 2.5 µg. Rapporté par les villageois de Kayodé : La Croix Rouge a reçu une mission de prévention (moyennant une confortable rétribution) de la part de l'Etat (DSDS) auprès des villages du Haut-Maroni pour les informer sur les risques du mercure et les inciter à modifier leurs habitudes alimentaires. Or il s'avèrerait que, d'une part bon nombre de villageois échappe à cette prévention dans la mesure où la Croix Rouge n'annonce pas sa venue dans le village ou la communique mal, d'autre part la présentation ne semblerait pas suffisamment explicite ou accessible (réunion sous le carbet collectif pour les personnes présentes dans le village et apposition de 3 affiches à l'école). A sa décharge, elle ne dispose pas d'information sur les niveaux d'intoxication individuels et ne peut donc cibler son action. Enfin il semblerait que la Croix Rouge soit beaucoup plus persuasive pour vendre des moustiquaires à 10 euros aux familles (prévention paludisme).
2. Situation sur le Tampoc : Le chef coutumier du village de Kayodé avait adressé à ASG un appel de détresse en octobre dernier suite aux agressions des orpailleurs (menaces avec armes et échanges de coups de feu). Moi-même avais été mis en joue par un orpailleur non brésilien de Maripasoula à hauteur de saut Willystein sur le Tampoc en septembre dernier (photo attestant la menace). Devant l'indifférence des forces de l'ordre locales les amérindiens du Tampoc se sont résignés (leurs 6 moteurs volés par les orpailleurs n'ont toujours pas été intégralement remboursés, seulement l'équivalent de 3 moteurs) et ont cessé d'arraisonner les pirogues illégales et leurs actes légitimes de piraterie (eu égard aux préjudices qu'ils subissent). Nous avons assisté à un trafic important de pirogues pendant notre séjour à Kayodé, dont bon nombre passe la nuit pour éviter d'être arrêtées. Les provocations des orpailleurs persistent en exhibant leurs armes au passage. Un comptage des pirogues a été mis en place à Elahé par des habitants. Entre le 22 octobre et le 3 février plus de 240 pirogues sont ainsi 'montés' vers les sites illégaux du Tampoc et de la Waki (situés, rappelons-le, dans la zone du Parc National de Guyane). En allant à la pêche sur le Haut-Tampoc (avec des villageois pour faire une évaluation des réserves piscicoles), je me suis arrêté à Degrad Roche, là où se situe un départ de piste de quad pour approvisionner les sites clandestins d'orpailleurs brésiliens et ai découvert, parmi d'autres objets (matelas, ufs, riz, essence, gaz-oil, ), 2 bouteilles d'1.5l de mercure. (photo à l'appui). Une vigie (jeune brésilien) s'est approchée à distance respectable puis s'est enfuie dans la forêt pour contacter par radio le village brésilien. A Saut-Tampoc nous avons remonté une piste de quad, tracée par les brésiliens, destinée à transporter leur matériel et leur carburant au-dessus du saut, apportant ainsi la preuve de l'importance de leur invasion de cette zone encore préservée jusqu'à il y a peu. Cette même piste n'a pas été repérée par le RIMA quelques jours plus tard alors qu'il faisait une soi-disant mission de 'comptage' (constaté lors de nos échanges à leur retour), mettant en évidence leur inadaptation au terrain. Ainsi de nouveaux sites ont envahi le Haut-Tampoc et afin de préparer le contournement d'un éventuel barrage sur le Tampoc les brésiliens ont tracé une piste (pour quad) reliant crique Hélène au Litani face à Yao Passi (village de ravitaillement au Surinam), ils avaient anticipé le barrage prévu des forces de l'ordre entre Kayodé et Degrad Roche. Les habitants du Tampoc n'ont plus de lieu de pêche propre, sans parler du gibier décimé par ces centaines de brésiliens. Je ne parlerai pas des incidents entre brésiliens et des nombreuses victimes sur les sites. Le guide qui nous avait accompagné lors d'un tournage en septembre dernier sur des sites clandestins sur la Waki à Grigel (Marina) l'a payé de sa vie, notre interprète brésilien a du se réfugier depuis cette date dans un village amérindien, notre contact brésilien à Maripasoula a du partir précipitamment. Le dispensaire de Maripasoula soigne quasi quotidiennement des victimes de règlements de comptes entre orpailleurs. En résumé, les sites se sont multipliés car les anciens sites, exploités pour la 3ème fois, voire 4ème fois, ne sont plus rentables. Les clandestins sont de plus en plus jeunes et de plus en plus agressifs. Les méthodes dévastatrices des orpailleurs détruisent le biotope et polluent pour des décennies les cours d'eau et l'environnement vital des populations locales. A cela s'ajoutent l'insécurité, la prostitution et la drogue partout où ils s'installent (des filières de drogues parallèles aux filières mercure se sont mises en place, approvisionnées via les différents aérodromes de forêt - Lawa Tabiki, Anapaïké, Oulémali, ). Le village de Cavana-fo (au Surinam près de Lawa Tabiki, à 10mn en aval de Maripasoula) est devenu la plaque tournante de tous les trafics locaux. Le 'parrain' local (actuellement à Metal pour cause de condamnation par contumace) installe un comptoir à Awara Soula (rive Surinam), au point de jonction du Litani et du Tampoc, qui lui permettra de contrôler toute la zone amont.
3. Vie dans les villages amérindiens : La première préoccupation des villageois est de satisfaire leurs besoins alimentaires. Le poisson est devenu rare dans le Tampoc, tant il est pollué. Les seuls poissons que chacun peut pêcher facilement sont des piraïs, des hokés, des agonossous, des mitalas, des huluwis, des aïmaras, , en fait les poissons qui sont les plus intoxiqués par le mercure et faisant partie de la liste interdite de la Croix Rouge. Cruel dilemme. Même en remontant à 2 heures de pirogue sur le Tampoc les filets sont pratiquement vides. Quant au gibier, il a tellement été décimé par les orpailleurs qu'il est devenu très rare (sur chaque site d'orpaillage une ou deux personnes se consacrent exclusivement à la chasse pour nourrir le site sans respecter les espèces et leur renouvellement). Les abattis sont de plus en plus éloignés, suite à la sédentarisation obligée des villageois (à cause de l'école). Mais de plus en plus de familles s'écartent du village pour se rapprocher de leurs abattis, renonçant par la même aux points d'eau potable du village. Le deuxième point noir est la santé. Faute de structure ou de personnel de santé dans le village, la seule réponse est le dispensaire de Maripasoula. Bien que l'accès aux soins soit gratuit, il faut savoir que chaque déplacement au dispensaire coûte en moyenne plus de 100 euros aux familles. Les secours d'urgence ne peuvent être appelés faute d'équipement de liaison radio (l'outil mis à disposition par l'Education Nationale en octobre est inopérant et est de toute façon indisponible hors période scolaire). La troisième inquiétude est leur mal-être résultant de leurs difficultés dans leurs rapports avec la collectivité publique, du racisme qu'ils subissent au quotidien, de leurs conditions de sous-citoyens. A chaque fois qu'ils sont allés à la Gendarmerie faire part de doléances, leur demande a été qualifié d'irrecevable (toutefois certains gendarmes, en privé, m'ont fait part de leur impuissance à les aider faute de moyens). A chaque fois que la collectivité publique a sollicité leur avis elle ne l'a jamais pris en compte. Les jeunes du village, de retour d'une scolarisation inadaptée et non terminée (pour cause d'échec scolaire) sont pris en étau entre une culture traditionnelle qui leur échappe et un néo-colonialisme ethnocide. L'idée d'une scission administrative avec Maripasoula revient de plus en plus dans leurs conversations. Une commune du sud pourrait les aider à sortir du cercle de l'asservissement (les élus amérindiens ont beaucoup de difficultés à se faire entendre dans les Conseils municipaux et ont l'impression de ne servir que de faire valoir) en leur permettant de pouvoir prendre en main leur destinée et la gestion de leur environnement vital.
Février Solidarité Guyane
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